Pourquoi faut-il démystifier l’IA ?

Pourquoi faut-il démystifier l’IA ?

L’intelligence artificielle (IA) promet une transformation profonde de l’industrie médiatique et, plus globalement, de la manière dont nous produisons, consommons et valorisons l’information. Entre sidération et exploration de nouvelles frontières éditoriales, tour d’horizon de sept défis à relever pour réinventer le journalisme et les médias à l’ère de l’IA générative. Le premier porte sur la démystification de l’IA.

Auteur d’un article passionnant sur les enjeux et défis de l’intelligence artificielle, Nicolas Becquet, journaliste et directeur du pôle digital de L’Écho, un quotidien bruxellois. Il nous a autorisé à le publier sur le site internet de TOUTécrit. Nous l’en remercions. Cet article, dans sa version intégrale, a été mis en ligne sur le site de l’Observatoire européen du journalisme (EJO).

À peine digéré les bouleversements entraînés par l’ère Internet et l’expansion des plateformes sociales, les médias font face à un nouveau défi de taille, l’intelligence artificielle. Une lame de fond qui charrie des changements encore plus fulgurants, radicaux et disruptifs que cette fameuse révolution numérique qui secoue le secteur depuis une vingtaine d’années.

En un peu moins d’un an, la déflagration de l’intelligence artificielle générative a bousculé tous les secteurs, médias compris. D’abord comme un fait d’actualité, puis comme une technologie capable de transformer profondément la fabrique de l’info, de la cave au grenier, de la collecte de l’information à sa distribution.

Confrontés à une chute sans précédent de la confiance des publics, à des audiences qui se détournent de l’actualité, aux difficultés de monétisation et à la précarisation de la profession, les journalistes oscillent entre l’intuition d’opportunités inédites et la peur du remplacement, pur et simple.

Cependant, à regarder de plus près le fonctionnement et les capacités actuelles de l’IA, l’émergence d’une armée de robots-journalistes reste de l’ordre de la science-fiction. En revanche, les indices qui montrent que l’intelligence artificielle représente une formidable opportunité de réinvention de la fabrique de l’information sont bien plus réels et concrets.

Pour mettre l’IA du côté des médias et écrire un nouveau chapitre dans l’histoire du journalisme, il est nécessaire d’en comprendre le fonctionnement, les enjeux et les dangers. Tour d’horizon des défis posés aux médias par l’intelligence artificielle.

Sortir de la sidération et démystifier l’IA

Depuis la mise en ligne de ChatGPT, en novembre 2022, un flot continu de nouvelles fonctionnalités dopées à l’intelligence artificielle a inondé l’espace médiatique et provoqué un effet de sidération à l’échelle de la planète.

Au balcon de cette révolution, les médias tentent de suivre le rythme pour chroniquer les prouesses fulgurantes et inédites des modèles de langages, ces programmes informatiques capables d’interagir en langage naturel et de créer des contenus textuels et audiovisuels plus vrais que nature. Face à ses performances spectaculaires et inédites, marchant clairement sur les platebandes des médias, ChatGPT a ouvert la perspective d’un remplacement partiel ou total du métier de journaliste.

Le raisonnement est le suivant : si les IA sont capables de collecter, trier et mettre en forme l’information, ainsi que de personnaliser la réponse et le style pour chaque lecteur, avec des résultats bluffant, alors elles représentent une menace directe pour le secteur.

Une menace de remplacement de l’homme par la machine d’autant plus légitime que les IA génératives sont précisément conçues pour copier et dépasser les capacités humaines en termes de langage, de raisonnement, de créativité, de planification et de prise de décision. Le tout, avec des promesses d’efficacité et de productivité exponentielles.

Pourtant, malgré cette volonté de surpassement des habilités humaines, le fonctionnement et les compétences intrinsèques des IA génératives n’en font pas des journalistes en puissance, ni même des sources pertinentes.

  • Aussi puissants soient-ils, les ChatGPT et autres agents conversationnels n’ont aucune expérience du monde sensible. Ils sont incapables de distinguer le vrai du faux ou la réalité de la fiction, et ils ont encore moins la capacité d’exercer un esprit critique ou moral.
  • Il s’agit de « boîtes noires », dont il n’est pas possible de retracer les étapes de raisonnement ou d’identifier les sources exactes.
  • Par ailleurs, les chatbots ne peuvent pas être considérés comme des moteurs de recherche fiables, car ils font l’objet d’hallucinations et de biais liés à leur fonctionnement basé sur des modèles statistiques travaillant par probabilité. Rappelons aussi que la connaissance acquise par les IA génératives a pour objectif de former et d’entrainer les grands modèles de langage. Elle n’a donc pas pour vocation première de servir de base de données factuelle consultable par les utilisateurs.
  • Enfin, les IA sont limitées à la production de contenus vraisemblables, très convaincant, mais sans garantie d’exactitude.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, les IA ne peuvent être considérées comme des journalistes ou des sources crédibles. Au mieux, elles peuvent jouer le rôle d’assistant-stagiaire capable de structurer des données pour explorer un sujet, tout en restant bornées à une connaissance purement théorique, formelle et statistique d’un sujet.

Il est donc nécessaire de sortir de la sidération et d’évacuer le fantasme du robot- journalisme. Ce n’est pas le métier qui est remis en cause, mais des tâches spécifiques à faible valeur ajoutée et à fort impact organisationnel : bâtonnage de dépêches, édition d’articles, transcription de textes en contenus audiovisuels, production automatique de newsletters, etc.

Prochain article 
❷ Baliser les usages de l’IA et former les équipes

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❸ Identifier les opportunités de gains de productivité
❹ Se préparer à l’émergence des assistants IA
❺ Anticiper le déclin de l’économie du lien
❻ Éviter les pièges de la dépendance technologique
❼ S’armer face au péril du désordre informationnel généralisé

Nicolas Becquet est journaliste et manager du Pôle digital de L’Écho, quotidien business basé à Bruxelles. Il est également Maître de conférences invité à l’École de journalisme de l’UC Louvain (EJL), formateur en journalisme mobile (Mojo) et en innovation éditoriale.