IA : la fin de l’économie du lien ?

IA : la fin de l’économie du lien ?

L’intelligence artificielle (IA) promet une transformation profonde de l’industrie médiatique et, plus globalement, de la manière dont nous produisons, consommons et valorisons l’information. Entre sidération et exploration de nouvelles frontières éditoriales, tour d’horizon de sept défis à relever pour réinventer le journalisme et les médias à l’ère de l’IA générative. Après les articles consacrés à la démystification de l’IA, à la formation, puis aux opportunités et aux assistants IA, intéressons-nous aux nouveaux enjeux liés à la recherche d’informations sur le web.

Auteur d’un article passionnant sur les enjeux et défis de l’intelligence artificielle, Nicolas Becquet, journaliste et directeur du pôle digital de L’Écho, un quotidien bruxellois. Il nous a autorisé à le publier sur le site internet de TOUTécrit. Nous l’en remercions. Cet article, dans sa version intégrale, a été mis en ligne sur le site de l’Observatoire européen du journalisme (EJO).

La révolution des assistants personnels ouvre la voie à un nouveau paradigme pour le partage et la recherche d’information en ligne. Ils dessinent un monde dans lequel la pertinence des moteurs de recherche tel qu’on les connait aujourd’hui est remise en cause et où l’écosystème qui vit du dynamisme et de l’architecture du web, basés sur les liens, est menacé.

Facebook avait déjà ouvert une brèche dans les principes fondateurs du web en proposant un univers numérique fermé, un web social privatisé. Pour sa part, Google a court-circuité le maillage de liens en introduisant le système de Knowledge Graph, en 2012, sous la forme de snippets, ces blocs présents sur la page de recherche qui synthétisent les réponses extraites des sites web. Une mise en valeur d’extraits de contenus qui avait abouti à une chute de trafic des sites concernés, à l’image de Wikipédia qui avait vu les visites sur ses pages chuter drastiquement.

Google bousculé

Vingt ans après Facebook, c’est l’entreprise américaine perplexity.ai qui bouscule le modèle du web, en défiant Google sur son propre terrain, le search. Comment ? En proposant un produit hybride et payant, pour accéder à l’information. Mi-chabot, mi- moteur de recherche, une synthèse des deux mondes. Microsoft et OpenAI explorent la même piste, en s’appuyant sur Bing. D’un côté, l’accès à la connaissance disponible en ligne et de l’autre, la commodité d’un agent conversationnel capable d’identifier les sources, de les trier et de les synthétiser tout en fournissant des réponses multimodales (texte, son, vidéo et code). Ce faisant, perplexity.ai rebat les cartes de la recherche en ligne en définissant de nouvelles règles pour accéder à l’information, avec à la clé, des conséquences incalculables pour le fonctionnement et l’économie du web.

Médias et agences : quelles conséquences ?    

Du point de vue des médias, ce grand chambardement implique de nouveaux intermédiaires qui accaparent la valeur des productions journalistiques, digèrent l’information et imposent de nouvelles règles sans contrepartie financière, ni garantie de visibilité. En effet, si les chatbots se substituent aux moteurs de recherche pour fournir une réponse clé en main, la logique de redirection des internautes vers les sites d’information disparait ou s’estompe. Une dynamique qui ouvre la perspective d’une perte d’exposition des contenus aboutissant à une chute de trafic et donc à des pertes de revenus, provenant à la fois du marché publicitaire et de celui des lecteurs.

En résumé, s’il n’est plus nécessaire de visiter un site pour obtenir l’information, comment parvenir à financer des médias privés de l’apport du trafic issu du web ? Une remise en cause de l’économie du lien telle qu’elle existe depuis la création du web. Une économie construite sur la libre circulation de l’information, les interactions, la collaboration et la création de valeur partagée au sein de l’écosystème du World Wide Web.

La bataille des contenus

Alors que les cendres de la bataille des droits voisins avec Google sont encore fumantes, les éditeurs ont vu, l’année dernière, Facebook déclasser leurs contenus dans les fils d’actualité, les privant de visibilité au sein de la plus grande plateforme sociale du monde. Un coup de semonce qui pousse les éditeurs à réinventer leur modèle, au carrefour de l’économie de l’attention, du lien et des contenus. Des éditeurs tiraillés entre la volonté de bénéficier des opportunités offertes par les plateformes d’IA, le développement des paywall et la perspective de voir encore leur contenu pillé par ces nouveaux infomédiaires, sans contrepartie. Pour l’instant, l’attitude de l’industrie médiatique consiste majoritairement à bloquer, tant bien que mal, l’indexation de leur contenu, en attendant que des négociations se mettent en place ou qu’un encadrement juridique s’impose aux différents acteurs.

Face à ces nouvelles réalités, les médias n’ont d’autres choix que de renforcer les liens avec leurs lecteurs en multipliant les points de contact, en développant des services sur-mesure, en certifiant l’information et en développant des espaces propices au débat public.

Articles publiés
Pourquoi faut-il démystifier l’IA ?
L’enjeu de la formation des équipes
Quels gains de productivité ?
Se préparer à l’émergence des assistants IA

Articles suivants
❻ Éviter les pièges de la dépendance technologique
❼ S’armer face au péril du désordre informationnel généralisé

Nicolas Becquet est journaliste et manager du Pôle digital de L’Écho, quotidien business basé à Bruxelles. Il est également Maître de conférences invité à l’École de journalisme de l’UC Louvain (EJL), formateur en journalisme mobile (Mojo) et en innovation éditoriale.